Nicholas Bellefleur







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23.05 - 08.06

PERFORMANCE

La nuit nous appartient — Festival Carrefour (QC) 

29.05 + 05.06

ATELIER

PRAXIS / proto studio (QC) 



01+08+15+22.06

CLASSE

LFDTCLASS / proto studio (QC) 




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StoneBoat Arts Centre (ON)



29.06 

ATELIER

Écologies Déviantes — Festival Virage



04.07 

PERFORMANCE

Cabaret Extravaganza (QC)



10-18.07 

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Bühnen Ballet / Bern (CH)



19-25.07 

PERFORMANCE

Biennale di Venezia (IT) 



26.07-03.08  

VISITE

Marseille (FR)



24.04.2025

(fr) Où finit la tendresse et où commence la violence ? Geste, temps queer et désobéissance punk.


J’ai vécu Le recueillement des tendres de Rozenn Lecomte comme on entre dans un territoire dérobé. Une frontière poreuse entre pause et pose, entre geste politique et caresse inachevée. Sur scène, les corps féminins s’organisent dans un temps autre, un temps queer, fragmenté, vibrant d’intervalles et de ruptures. 


Dans le premier cycle de la pièce, une ligne du temps se fragmente de cour à jardin. Chaque mouvement semble arraché au flux, retenu, offert dans une lenteur non-normative. Rozenn Lecomte ne met pas en scène un récit, mais une accumulation de gestes posés – des postures qu’on pourrait retrouver en manif, dans un concert punk, ou tirées de l’intime. C’est une façon de jouer avec le temps, comme le théorise Jack Halberstam1 dans In a Queer Time and Place : un temps qui n’obéit pas à la logique de la reproduction, de l’efficacité ou de la productivité.

Dans ce temps queer, les gestes sont à contretemps. Certains prennent trois battements pour se construire, d’autres jaillissent, bruts. Cela crée une esthétique de la rupture, un espace d’observation où l’on peut enfin voir ce qui d’habitude passe trop vite : la façon dont un poing se lève, un regard se renouvelle, un genou cède.

Les poses que prennent les interprètes – punk, réalistes, parfois presque clichées – résonnent comme des icônes d’une culture de révolte. Mais elles ne sont pas caricaturales. Elles sont habitées, décontextualisées, revendiquées. Elles sont violentes. Elles sont tendres. Et cette tendresse n’a rien de complaisant. Elle est, comme dirait Sara Ahmed, une manière d’être orientée à contre-courant des affects dominants. Le corps queer est un corps mal orienté : il ne cherche pas la fluidité, il dérange le regard, il crée du frottement.

Cette friction est essentielle. Elle ne vise pas la beauté classique ni l’efficacité expressive. Elle cherche à perturber l’attente, à rendre visible le malaise, à montrer la tension entre ce qu’un corps devrait faire et ce qu’il choisit de faire. Une tendresse désobéissante. Une douceur qui résiste.

Le punk existe-t-il encore ?

Les références punk dans la pièce sont explicites : attitudes, postures, sons, énergie latente. Mais une question émerge : est-ce que le punk existe encore ? Et plus précisément : peut-il exister dans l’art contemporain sans être esthétisé, digéré, neutralisé ?

Peut-être que le punk, aujourd’hui, n’est plus dans le cri mais dans le silence. Dans la pose. Dans la suspension du geste plutôt que dans sa fureur. Le punk ne réside pas dans les signes, mais dans le trouble qu’ils provoquent encore. Ce n’est pas l’esthétique qui rend une œuvre punk, c’est sa capacité à court-circuiter les modes habituels de perception et d’interprétation.

Ralentir, c’est politique. C’est aller à contre-courant d’une dynamique d’accélération capitaliste, néopatriarcale et coloniale. Le punk d’aujourd’hui, s’il existe encore, se niche peut-être dans ces gestes retenus, dans cette esthétique du refus d’accélérer. Refuser d’accélération, c’est refuser l’instrumentalisation des corps, c’est refuser d’être productif, lisible, performant, comme l’entend le monstre à trois têtes. C’est une forme de sabotage doux. Une rébellion par la douceur.

Un des gestes les plus marquants de la pièce est celui du "gun" – mimé, vidé, désensibilisé. Il est là, et il ne signifie rien. Ou plutôt : il signifie trop, et donc plus rien. 

Le geste du gun me hante car il résonne bien au-delà de sa simple matérialité. Il porte en lui une violence symbolique, une mémoire d’agression et de domination. Et pourtant, dans l’univers queer de la pièce, ce geste semble se vider de son sens traditionnel. Pour moi, cette vacuité apparente est une stratégie. Le geste désactivé nous oblige à questionner notre réception. Il nous renvoie à notre propre saturation face aux images de violences partout autour nous. 



Dans Le recueillement des tendres, le gun est mimé, mais il ne tire pas. Il est un artefact, un objet technologique, comme ceux que Paul B. Preciado2 décrit dans Testo Junkie. Preciado parle des corps technologiquement modifiés par les normes de pouvoir et de désir. Le gun dans cette œuvre n’est plus seulement un instrument de violence physique ; il devient un moyen d’exprimer un rapport au pouvoir, un rapport qui, dans son mimétisme, appelle à une déconstruction.

Judith Butler3, quant à elle, parle de la performativité des gestes, de la manière dont ils produisent et renforcent les normes de genre. Le geste du gun ici pourrait être vu comme une performance, non pas d’un sujet masculin ou hétéro-normé, mais d’un corps queer qui trouble cette norme en le déconstruisant. Ce geste devient une sorte de rupture, une brèche où la violence traditionnelle est suspendue, interrogée, voire détournée. C’est là, peut-être, que réside le potentiel subversif de ce geste : non pas dans la violence qu’il incarne, mais dans la désactivation de cette violence. Il devient une invitation à reconfigurer le sens du pouvoir.

Tout ce symbolisme grâce à deux doigts collés-allongés et un pouce en l’air… dirigé vers le public, dirigé vers soi. 



Au moment où l’artiste Ariane Levasseur prend la parole, une brèche de plus s’insère au recueillement des tendres. Elle parle de jeunesse et de puissance, entre autres. Et ça fait surgir quelque chose d’universel et viscéralement situé : ce moment dans une vie où l’on se rend compte de notre propre agentivité. Qu’on peut décider. Qu’on peut résister. Ce n’est pas un moment abstrait — c’est un seuil. Une brûlure douce. Et pour les personnes dont le corps ou l’identité a longtemps été capturé par des narratifs extérieurs — comme celui de la femme lesbienne souvent fétichisée ou rendue invisible — ce moment est encore plus tranchant.

Dans la pièce, ce passage n’est pas un climax — c’est une onde. Il circule dans le silence qui suit. Dans les gestes qui reviennent, légèrement altérés. Comme si la parole avait déplacé l’espace. Ou comme si quelque chose d’invisible venait d’être reconfiguré.



Le recueillement des tendres est un rituel queer de désorientation. Il n’offre pas de réponses. Il expose des tensions, des gestes contradictoires, des affects qui se battent pour coexister. La tendresse n’y est jamais sûre. La violence non plus.

Et si le punk contemporain était justement cela ? Non plus une esthétique de la rupture bruyante, mais une politique de la pause, de la pose, de la faille assumée. Une manière de dire : je suis là, je ne joue pas, je suis traversée par des forces contraires, et c’est de là que naît mon pouvoir.

Ce n’est pas une révolte explosive. C’est un récit en creux. Une désobéissance douce. 



(en)The Aesthetics of Refusal, Tenderness as Tactic.



After Le recueillement des tendres by Rozenn Lecomte

(Recueillement: can mean meditation, contemplation, reverence, or quiet reflection. It implies stillness and emotional depth. Des tendres: the tender ones, or simply the tender — evoking softness, vulnerability, affection.)

I entered Le recueillement des tendres by Rozenn Lecomte as one steps into a hidden terrain — a porous border between pause and pose, between political gesture and unfinished caress. On stage, feminine bodies unfold within a different temporality, a queer temporality, fragmented and vibrating with gaps and breaks.

In the opening cycle, a timeline fragments across the stage. Each movement feels torn from the flow, withheld, and offered with non-normative slowness. Lecomte doesn’t craft a narrative but composes an accumulation of gestures — postures that could emerge from a protest, a punk show, or an intimate confession. It’s a way of playing with time, echoing Jack Halberstam’s theory in In a Queer Time and Place1: a time that resists reproduction, efficiency, and productivity.


In this queer time, gestures are offbeat. Some take three counts to build, others erupt unannounced. This creates an aesthetic of rupture — a space where we finally see what usually moves too fast: how a fist rises, how a gaze renews, how a knee gives way.

The poses — punk, realist, sometimes verging on cliché — act as icons of a rebellious culture. But they’re not caricatures. They’re inhabited, decontextualized, reclaimed. They’re violent. They’re tender. And this tenderness is not soft or indulgent. It’s, as Sara Ahmed would say, a way of being oriented against the grain of dominant affects. The queer body is a misoriented body — not seeking flow but generating friction.

And this friction matters. It doesn’t aim for classical beauty or expressive clarity. It disturbs expectation, reveals discomfort, exposes the tension between what a body should do and what it chooses to do. It’s a disobedient tenderness. A softness that resists.

Is punk still alive?

The punk references in the piece are explicit: attitude, postures, sound, latent energy. But a question emerges: Is punk still possible? More precisely: Can it survive within contemporary art without being aestheticized, digested, neutralized?

Perhaps punk now lives in silence rather than screams. In suspension rather than fury. Punk isn't about its signs but the disturbances they still provoke. What makes a work punk is not its look but its ability to short-circuit habitual perception.

To slow down is political. It resists the capitalist, patriarchal, and colonial impulse to accelerate. If punk exists today, it may be in withheld gestures, in an aesthetic of refusal. Refusing acceleration is to refuse the instrumentalization of bodies, to reject productivity, readability, and performance as dictated by the three-headed monster. It is a soft sabotage. A rebellion by gentleness.

One of the most striking gestures in the piece is the gun — mimed, emptied, desensitized. It’s there, and it means nothing. Or rather: it means too much, and so, nothing at all.



This gesture haunts me because it resonates beyond its form. It holds symbolic violence, a memory of domination. Yet, in this queer world, it is emptied of its traditional meaning. This hollowness is, to me, strategic. The deactivated gesture forces us to confront our own saturation — how violence, overexposed, becomes invisible.

Here, the gun is a technological artefact, like those Paul B. Preciado2 speaks of in Testo Junkie — bodies modified by systems of power and desire. The gun, no longer an instrument of literal harm, becomes a symbol of power itself — power as performance, as mimicry, as subversion.

Judith Butler’s theory of performativity3 is helpful here. The mimed gun is not a masculine or heteronormative performance but a queer one, destabilizing the norms it mimics. The gesture becomes a breach — a rupture where violence is not enacted but suspended, interrogated, dismantled.

And all this, through two extended fingers and a raised thumb, pointed at the audience — or at oneself.

Later, when performer Ariane Levasseur speaks, a new breach opens. She speaks of youth, of power. And something arises — something visceral and universal: the moment in one’s life when agency clicks into place. When you realize: I can choose. I can resist. It’s not abstract. It’s a threshold. A soft burn.

And for those whose bodies or identities have long been captured by dominant narratives — like the often fetishized or erased lesbian woman — this moment of self-claiming is even sharper. In the piece, it’s not a climax — it’s a wave. It circulates in the silence that follows. In the altered return of movement. As if speech reconfigured the space. As if something unseen had shifted.

Le recueillement des tendres is a queer ritual of disorientation. It offers no answers. It lays bare tensions, contradictory gestures, affects that fight to coexist. Tenderness is never safe here. Nor is violence.

And maybe this is what contemporary punk is: not a loud rupture, but a politics of pause, of pose, of the deliberate crack. A way of saying: I’m here. I’m not performing for you. I’m full of contradictions. And that’s my power.

Not an explosion. A hollowed-out story. A soft disobedience.






1  In a Queer Time and Place, Jack Halberstam 2005
2 Testo Junkie, Paul B. Preciado 2008
3 Gender Trouble, Judith Butler 1990

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