Nicholas Bellefleur







À VENIR




23.05 - 08.06

PERFORMANCE

La nuit nous appartient — Festival Carrefour (QC) 

29.05 + 05.06

ATELIER

PRAXIS / proto studio (QC) 



01+08+15+22.06

CLASSE

LFDTCLASS / proto studio (QC) 




09-13.06

RÉSIDENCE

StoneBoat Arts Centre (ON)



29.06 

ATELIER

Écologies Déviantes — Festival Virage



04.07 

PERFORMANCE

Cabaret Extravaganza (QC)



10-18.07 

VISITE

Bühnen Ballet / Bern (CH)



19-25.07 

PERFORMANCE

Biennale di Venezia (IT) 



26.07-03.08  

VISITE

Marseille (FR)



(fr) Rave is Not a Retreat : faire la fête en temps de crise.



Il y a des jours où chaque scroll sur nos écrans nous tire vers le bas. Où les atrocités, les cris étouffés, les appels à l’aide qui traversent les continents, nous font vaciller. Comment continuer à rire, danser, aimer — ici — quand là-bas, des mondes sont effacés ?

La culpabilité rôde. Elle s’immisce subtilement. Elle s'insinue dans les fentes de nos plaisirs. Elle murmure : comment oses-tu rire, sourire, danser alors que des gens meurent ? Cette culpabilité voudrait nous faire croire que la douleur doit être continue, universelle, homogène. Et pourtant, elle-même ne sauve personne. La douleur seule ne crée pas un monde nouveau.

J’aimerais proposer un changement de perspective. Non pas du déni. Non pas une culture du cute, du lisse et du bonheur à tout prix. Plutôt, une réappropriation de notre regard sur ces événements qui semblent si loin et qui pourtant nous touchent, nous affectent, nous transforment. Ici. Maintenant. 

La vérité, c’est que nous sommes interconnecté·es. Le génocide en Palestine n’est pas une "actualité lointaine". Il nous traverse émotionnellement, mentalement, corporellement. Les réseaux sociaux ne sont pas des murs, mais des membranes poreuses. Des portails vers des mondes bien réels, chargés d’affect. Nos colères, nos larmes, nos silences sont liés à ceux des autres. Par la mondialisation, nous sommes mêlé·es à la tragédie : par les armes financées, les accords commerciaux, les récits qu’on choisit d’écouter — ou d’ignorer.

Et dans tout cela, une question brûle : que peut-on faire, vraiment?

On se dit : Quel contrôle est-ce que j’ai ? Je ne suis qu’une seule personne - qu’une seule goutte dans un océan.

Et c’est précisement pour cette raison que nous avons tous·tes une part à jouer. 

Parfois, il ne reste que des gestes minuscules. Des graines. Nos choix de tous les jours. Notre corps. Notre respiration. Notre perspective. Notre façon d’aimer. De refuser la haine. De choisir de cultiver la joie comme un acte politique, un refus de se laisser engloutir.
L’histoire nous enseigne que la fête, en temps de crise, est un réflexe de survie.Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que les bombes tombaient, des speakeasy clandestins remplissaient les caves de Londres de jazz et de rires souterrains. Les gens dansaient avec rage, comme pour défier la mort. À Paris, sous l’Occupation Nazie, on organisait des bals secrets dans les appartements.

Sur le Titanic, alors que le navire sombrait, les musiciens ont continué de jouer. Jusqu’à la fin.

Pendant la pandémie de COVID-19, on a vu des balcons se transformer en scènes de DJ. Des party sur Zoom. Des corps danser seuls dans leurs chambres, mais ensemble via leurs écrans.

Aujourd’hui encore, à Gaza même, certain·es écrivent de la poésie, jouent du oud, peignent sur des ruines. La fête, parfois, c’est simplement refuser d’être déshumanisé·es. Refuser de se déshumaniser. 

Et dans les territoires occupés, les zones de guerre, ou les villes militarisées, des raves continuent d’émerger — comme à Ramallah en Palestine, où une scène techno vibrante persiste malgré la violence de l’occupation. Ces fêtes deviennent des actes d’existence. Des zones temporaires de liberté.
Raverie : créer des mondes de rêves quand le réel s'effondre
Dans un entrepôt abandonné, une forêt perdue, un terrain vague à la périphérie de la ville, le rave surgit. Ce n’est pas juste une fête. C’est une brèche. Un espace-temps où la norme explose. Où les corps transpirent une forme de vérité qu’aucune parole ne contient.

Mark Fisher1 parlait du rave comme d’un "rêve éveillé de liberté collective", un moment fragile mais tangible où un autre monde semble possible — non pas dans l’abstraction politique, mais dans un pulse commun, la présence et la transe.


Barbara Ehrenreich2 écrivait que la joie collective est un instinct profond, sans cesse réprimé par les cultures du contrôle. Les raves, dans cette lignée, sont des actes de déprogrammation. Des lieux pour crier sans mots, pour communier sans prier.

Le philosophe anarchiste Hakim Bey3 appelait ça une "zone autonome temporaire". Une fête qui surgit, bouleverse, puis disparaît. Pas pour fuir le monde, mais pour y expérimenter des relations autres, intenses, brûlantes — et en rapporter des braises.

Le rave est aussi une techno-utopie queer4. Pour beaucoup de communautés marginalisées (racisées, trans, neurodivergentes), le rave est un sanctuaire. Un endroit pour être soi, pour guérir, pour créer des mondes qu’on ne voit pas encore dans la réalité.

D'un point de vue somatique, les raves détiennent un immense potentil de guérison profonde. Tout comme la gazelle utilise les trémissiments (shake) pour se débarrasser du traumatisme qu'elle a accumulé après avoir été poursuivie par un prédateur, nous devons également nous secouer pour nous débarrasser des blessures et des conditionnements qui ne nous servent plus. Et quel meilleur endroit que la rave pour secouer ses fesses et son système nerveux ? 

Aujourd’hui, on rave encore à Ramallah, à Kyiv, à Tbilissi, à Beyrouth. Parfois clandestinement. Souvent avec rage. Ces fêtes deviennent des réponses sensibles à la guerre, à la dépossession, à l’effondrement. Elles disent : tant que nous dansons, nous sommes vivant·es. Tant que nous créons du lien, la mort n’a pas gagné.

Faire la fête, c’est refuser de laisser la mort être la seule réponse.

Ce n’est pas nier la souffrance. Ce n’est pas de nier notre mortalité. C’est dire : malgré tout, je choisis de porter mon attention vers ce qui est vivant. Honorer celles et ceux qui ont passé·es — en célébrant la vie. En vivant pour elleux. Choisir de créer des espaces de lumière. De rassemblement. De deuil. D’intégration. D’émotion partagée. D'écoute. De lenteur. De présence. De joie. De plaisir. De célébration.
Parce qu’on ne construit pas un monde juste uniquement en dénonçant l’injustice. On le construit aussi en incarnant, ici et maintenant, ce à quoi on rêve. C’est peut-être ça, notre part de contrôle. Lead by example. Montrer une autre manière d’être au monde.

Rire, danser, célébrer — sans cesser de s’indigner — c’est embrasser le paradoxe.
C’est pratiquer l’amour comme résistance.
C’est militer par la joie.
C’est redevenir humain. 


Le titre de ce texte est inspiré par McKenzie Wark, écrivaine et théoricienne transgenre, alors que dans son livre Raving elle propose une vision intime et politique du rave comme espace de transformation sensorielle, de dissolution des identités fixes, et de réinvention collective. Elle écrit : « The rave is not a retreat from the world but an entry into another one. » Ce livre a nourri ma réflexion sur la rave comme zone liminale, radicalement vivante et queer, où l’on fabrique du commun autrement.

Max Lauloum, journaliste français a fait un reportage sur la fête en Ukraine qui a grandement inspiré ce texte. L’activisme rigoureux et sensible de mes ami·es Caroline Namts et Hadi Salma a également grandement inspiré ce texte.

(en) Rave is Not a Retreat: Partying in Times of Crisis.



There are days when every scroll on our screens feels like a slow ember embedding itself under our skin. Days when atrocities, muffled cries, and distant calls for help make us tremble. How do we keep laughing, dancing, loving — here — when elsewhere, entire worlds are being erased?

Guilt lingers. It creeps in, subtly. It seeps into the cracks of our pleasures. It whispers: how dare you laugh, smile, dance? It wants us to believe that pain must be constant, universal, uniform. And yet, pain alone saves no one. Pain alone doesn’t build a new world.

I want to offer a shift in perspective. Not denial. Not a culture of cuteness, gloss, or toxic positivity. Rather, a reclamation of how we relate to events that feel far away — and yet affect, touch, and transform us. Right here. Right now.

The truth is: we are interconnected. The genocide in Palestine is not a “distant event.” It moves through us emotionally, mentally, somatically. Social media are not walls — they are porous membranes. Portals to real worlds, charged with affect. Our anger, our grief, our silences are entangled with those of others. Through globalization, we are implicated in the tragedy: through financed weapons, trade deals, the stories we choose to hear — or to ignore.

And in all this, one burning question: what can we actually do?

We tell ourselves: what control do I have? I’m just one person — a single drop in an ocean. And yet, that is precisely why each of us matters.

Sometimes, all we have left are small gestures. Seeds. Our daily choices. Our bodies. Our breath. Our perspective. The way we love. The refusal to hate. The commitment to cultivate joy — not as escapism, but as a political act. A refusal to be swallowed by despair.

History teaches us: celebration in times of crisis is a survival instinct.

During World War II, while bombs fell on London, underground speakeasies filled cellars with jazz and laughter. People danced with fury, as if to defy death. In occupied Paris, secret balls were held in private apartments.
On the Titanic, as the ship went down, the musicians kept playing. Until the end.

During the COVID-19 pandemic, balconies became DJ booths. Raves happened on Zoom. Bodies danced alone in their rooms, but together through screens.

Even today, in Gaza, some still write poetry, play the oud, paint on ruins. Sometimes, partying is simply refusing to be dehumanized. Refusing to dehumanize ourselves. And in occupied territories, war zones, or militarized cities, raves continue to emerge — like in Ramallah, Palestine, where a vibrant techno scene persists despite the violence of the occupation. These gatherings become acts of existence. Temporary zones of freedom.

Raverie: Dreaming New Worlds as the Old Ones Collapse

In an abandoned warehouse, a hidden forest, a field near a border, the rave erupts. It’s not just a party. It’s a rupture. A crack in space-time where norms dissolve. Where bodies sweat a kind of truth no words can carry.

Mark Fisher1 once described the rave as a “waking dream of collective freedom” — a fragile but tangible moment when another world feels possible. Not in some abstract political way, but in the beat, the presence, the trance.

Barbara Ehrenreich2 wrote that collective joy is a deep instinct, constantly repressed by cultures of control. Raves, in that sense, are acts of deprogramming. Places to scream without language, to connect without doctrine.

Anarchist philosopher Hakim Bey3 called it a “Temporary Autonomous Zone” — a party that erupts, disrupts, then disappears. Not to escape the world, but to experiment with other ways of being, burning with intensity — and to carry the embers back with us.

Rave is also a queer techno-utopia4. For many marginalized communities — racialized, trans, neurodivergent — rave spaces are sanctuaries. Places to be fully oneself, to heal, to build the worlds we still can’t see in reality.

On a somatic level, raves can also be deeply healing. Just like the gazelle needs to shakes off the trauma she accumulated after being chased by a predator, we must also shake off the hurts and conditionings that no longer serve us. What better place to shake your booty and nervous system than at a rave ? 

Even now, people rave in Ramallah, Kyiv, Tbilisi, Beirut. Sometimes clandestinely. Often with rage. These parties become embodied responses to war, dispossession, collapse. They say: as long as we dance, we are still alive. As long as we connect, death has not won.

To celebrate is to refuse death as the only answer.

It is not a denial of suffering. Not a denial of mortality. It is a choice — to orient ourselves toward what is still alive. To honour the ones we’ve lost — by living for them. To create spaces of light. Of gathering. Of grief. Of integration. Of shared emotion. Of listening. Of slowness. Of presence. Of joy. Of pleasure. Of celebration.

Because we don’t build a just world only by denouncing injustice. We also build it by embodying, here and now, what we long for. Maybe that is our piece of control. Lead by example. Show another way of being.



To laugh, dance, celebrate — without stopping the outrage — is to embrace paradox.
It is to practice love as resistance.
It is to fight through joy.
It is to reclaim our humanity.


The title of this text is inspired by McKenzie Wark, trans writer and theorist, who in her book Raving offers an intimate and political vision of rave as a space for sensory transformation, dissolution of fixed identities, and collective reinvention. She writes: “The rave is not a retreat from the world but an entry into another one.” Her words deeply shaped my reflection on rave as a liminal, radically alive and queer zone for crafting a new commons.

This text was also inspired by a powerful report by French journalist Max Lauloum on partying in Ukraine, and by the rigorous, tender activism of my friends Caroline Namts and Hadi Salma.


Notes: 
1                Mark Fisher, Capitalist Realism « The freedom of rave was a kind of collective dreaming. A waking dream of a better world that could still be lived. » Fisher évoque le rave comme un moment de futur suspendu, où l’utopie est vécue par le corps, même si elle n’est jamais réalisée pleinement. Il y voit une brèche dans le réalisme capitaliste.
2                Barbara Ehrenreich, Dancing in the Streets: A History of Collective Joy « The capacity for collective joy is an instinct deeply embedded in human beings... repressed by elite cultures of control. » Ehrenreich trace une histoire de la danse collective comme pouvoir politique et émotionnel, systématiquement attaquée par les régimes autoritaires et les sociétés hiérarchisées.
3                 Hakim Bey, Temporary Autonomous Zones (TAZ) « The rave is a TAZ, a Temporary Autonomous Zone — a fleeting space where new social relations can emerge, if only for a night. » Hakim Bey voit dans le rave une zone d’utopie furtive, hors contrôle, où une autre forme de vivre-ensemble devient possible.
4                 Je pense notamment à McKenzie Wark, Raving et José Esteban Munoz, Cruising Utopia
Autre référence: 
                 Michel Gaillot, Techno : Discours, utopies et images. Il analyse le rave comme rituel néo-tribal, lieu de régression positive et de lien postmoderne. Très utile pour parler du rave dans une perspective anthropologique


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