Nicholas Bellefleur







À VENIR




23.05 - 08.06

PERFORMANCE

La nuit nous appartient — Festival Carrefour (QC) 

29.05 + 05.06

ATELIER

PRAXIS / proto studio (QC) 



01+08+15+22.06

CLASSE

LFDTCLASS / proto studio (QC) 




09-13.06

RÉSIDENCE

StoneBoat Arts Centre (ON)



29.06 

ATELIER

Écologies Déviantes — Festival Virage



04.07 

PERFORMANCE

Cabaret Extravaganza (QC)



10-18.07 

VISITE

Bühnen Ballet / Bern (CH)



19-25.07 

PERFORMANCE

Biennale di Venezia (IT) 



26.07-03.08  

VISITE

Marseille (FR)



19.04.2025

(fr) Entre reflet et alternatives : l’artiste face au déficit collectif de l’imagination.


J’ai envie de parler de Les Jolies Choses, chorégraphié par Catherine Gaudet. Pas comme une critique, pas comme un verdict. Juste comme un endroit où je dépose ce que ça a éveillé en moi. C’est pas clair encore. C’est pas fini. Mais je sens que c’est important.


Sur scène : cinq corps. Blancs. Éparpillés dans l’espace, à la verticale, chacun dans sa gestuelle répétitive. Ils ne se touchent pas. Ils cohabitent. Subtilement, très subtilement, quelque chose se transforme. Leurs mouvements s’agencent, se contaminent. S’harmonisent. Ils se rapprochent. Forment une ligne. Et une fois cette ligne faite… elle se verrouille. Plus de sortie. Les cinq tournent ensemble autour d’un axe central, à tout jamais...

C’est hypnotisant. Physique. Cosmique presque. Comme si on observait la terre tourner. L’engrenage d’une machine. Une horloge qui s’emballe ? Le tempo s’accélère. La musique aussi. D’abord minimaliste, puis électro, puis soudainement du gros rock. Brutal. Et pourtant… le public embarque. On est tous happé·es. En transe.

Des fois, un danseur sort de la ligne, explose, s’agite. Il goûte à autre chose. Mais finit toujours par revenir. Parce que le système est plus fort que l’individu. Et la machine continue. Plus vite. Encore plus vite. Jusqu’à l’épuisement.

Puis : effondrement.
Les corps tombent. Les lumières s’éteignent. Et le public se lève, crie, en délire.

Moment rare et puissant pour la danse contemporaine québécoise. Ce sentiment d’euphorie partagée, nos coeurs en cohérence, et une fatigue sur scène à laquelle on peut s’identifier. 

Je pense que cette œuvre, parmi tant de jolies choses, vient agir comme un miroir. Un reflet de notre fatigue collective. De notre persistance, malgré tout. Même quand on ne sait plus pourquoi on continue. C’est comme si Les Jolies Choses arrivait à mettre en scène ce flou qu’on porte tous·tes un peu en nous. Cette illusion qu’on n’a pas vraiment le choix. Cette croyance enracinée que c’est comme ça qu’on doit vivre. Point.


Ça me ramène à Mark Fisher1 et ce qu’il appelle

« l’impossibilité d’imaginer UN MONDE APRÈS LE capitalisme.»


Et moi je pense souvent à ça comme un déficit d’imagination. Un engourdissement. Une perte de puissance sur nos désirs. Sur nos peurs. Une forme de conditionnement.


Paradoxalement, je pense qu’au niveau de l’inconscient, cette oeuvre parle aux atomes dans nos corps, à notre conscience cellulaire, au souvenir d’être étoile. Notamment à cause de la formation en rotation. Le cercle, ou la spirale, fait profondément partie de nous et du monde, qu’il nous rappelle notre connexion à plus grand que soi.  

Mais je pense vraiment qu’il est question ici du capitalisme. Parce que si c’était une œuvre qui explore le sublime, l’extase, la communion ou la transe — comme ces cérémonies ancestrales incarnées qui élèvent nos états de conscience — elle ne pourrait pas être aussi parfaite. Elle ne pourrait pas être aussi propre. Cette précision s’effondrerait. Ce qui me pousse à associer cette pièce au capitalisme, c’est la répétition. La rigueur presque militaire du sautillement constant. L’accumulation mécanique. Ce sentiment d’inévitabilité. Ça résonne avec le tempo de nos systèmes : toujours plus vite, toujours plus, toujours en avant — jusqu’à l’effondrement.

Mais c’est peut-être ça aussi, le fond. Ce que je perçois dans une œuvre parle souvent davantage de ce que je porte en moi — mes peurs, mes désirs, mes questions — que de l’œuvre elle-même. L’œuvre est toujours, au moins en partie, un miroir.


Et là où je suis encore en train de réfléchir, c’est ici : qu’est-ce qu’on fait, après, quand un miroir aussi limpide nous est tendu ?

Est-ce que ça nous réveille ? Est-ce que ça nous libère ? Ou est-ce que ça nous confirme dans notre impasse ?

Si on reste juste avec la première réaction – se sentir vu·e, validé·e, bouleversé·e – mais qu’il n’y a pas de suite, pas de questionnement, est-ce que ça change vraiment quelque chose ? Est-ce que ça ne risque pas, au contraire, de renforcer ce qu’on vit déjà, sans offrir d’issue ?

Un ami à moi qui a vu et conçu beaucoup de danse dans sa vie, m’a avoué y avoir perçu quelque chose de fasciste. C’est choquant comme mot. Je ne pense pas qu’il parle de l’intention, ni de l’équipe derrière. Je pense qu’il parle du ressenti. De cette sensation d’être pris dans quelque chose d’implacable. Et d’y adhérer, malgré soi. D’aimer ça, même. Est-ce qu’un spectacle peut séduire au point de neutraliser l’esprit critique ?

Je ne sais pas.


Moi, dans mon propre travail, je me pose de plus en plus cette question : est-ce que je veux refléter le monde ? Ou est-ce que je veux proposer autre chose ? Est-ce que je peux faire les deux ? Est-ce que c’est possible de créer des brèches, même minuscules, vers autre chose ? Vers un futur pas encore pensé ?

J’ai pas de réponse. Mais je sais que je veux essayer. Parce que même si je me reconnais dans la fatigue montrée dans Les Jolies Choses, j’ai aussi soif de possibilités. De déraillements. De rituels de désobéissance. De fiction collective. D’imaginaire en feu.

Peut-être que le miroir est nécessaire.
Mais moi, j’ai besoin d’un portail.



Sur la responsabilité du public ou de l’écosystème artistique:
Je crois que nous sommes tous·tes capables de réfléchir, de déconstruire, de remettre en question ce que nous voyons, entendons, ressentons. Ce que j'essaie de dire ici, c'est que cette introspection ne peut pas être laissée au hasard. Quand l’œuvre nous tend ce miroir, elle nous invite à un travail. Si le seul retour qu'elle nous laisse est celui de la réaction immédiate, de la validation de notre expérience sans invitation à l’explorer plus loin, est-ce que nous allons réellement questionner le système qui nous englobe, ou simplement l’accepter pour ce qu’il est ? Le danger réside dans cette absence de suivi, dans le risque de ne jamais aller au-delà de la surface des émotions qu'une œuvre peut éveiller. C'est là que, même si je crois fermement dans la capacité du public à s'engager, je m'inquiète de ce que cet engagement reste trop souvent bloqué à un premier niveau de lecture, sans possibilité de sortir de la boucle.


(en) Between reflection and alternatives: the artist facing the collective deficit of imagination


I want to talk about Les Jolies Choses, choreographed by Catherine Gaudet. Not as a critique, not as a verdict. Just as a place to drop what it stirred in me. It’s not clear yet. It’s not finished. But I feel like it matters.

On stage: five bodies. White. Scattered across the space, upright, each in their own repetitive movement. They don’t touch. They coexist. Subtly—very subtly—something begins to shift. Their movements start to line up, to contaminate each other. To harmonize. They draw closer. Form a line. And once that line is made… it locks in. No way out. The five begin to turn together around a central axis, forever…


It’s hypnotic. Physical. Almost cosmic. Like watching the Earth spin. Like the inner workings of a machine. A clock gone haywire? The tempo speeds up. So does the music. First minimalist, then electronic, then suddenly this loud, aggressive rock. Brutal. And yet… the audience is in. We’re all in. Tranced.

Sometimes, a dancer breaks free from the line, bursts, agitates. Tastes something else. But always comes back. Because the system is stronger than the individual. And the machine keeps going. Faster. Even faster. Until exhaustion.


Then: collapse.
The bodies fall. The lights go out. The audience rises, screaming, ecstatic.


A rare and powerful moment for contemporary dance in Quebec. That feeling of shared euphoria, our hearts beating in sync, and a fatigue on stage we can all relate to.


I think what this piece does, among so many pretty things, is act like a mirror. A reflection of our collective exhaustion. Of our persistence, in spite of everything. Even when we don’t know why we keep going. It’s like Les Jolies Choses manages to stage that blur we all carry inside us. That illusion that we don’t really have a choice. That deep-rooted belief that this is just how life is. Period.


It brings me back to Mark Fisher and what he calls
 

“the impossibility of imagining A WORLD BEYOND capitalism.”


And I often think of that as a deficit of imagination. A kind of numbness. A loss of agency over our desires. Over our fears. A form of conditioning.

Paradoxically, I think that on an unconscious level, this piece speaks to our atoms, to our cellular consciousness, to the memory of being a star. Especially because of the rotating formation. The circle — or the spiral — is deeply part of us and of the world; it reminds us of our connection to something greater than ourselves.

But my brain keeps finding ways to link it to capitalism. Because if it were exploring the sublime, ecstasy, communion, or trance — like those embodied ancestral ceremonies that lift us into altered states — it wouldn’t be so perfect. It couldn’t be so clean. The precision would collapse. What moves me to associate this piece with capitalism is the repetition. The almost militaristic rigor. The mechanical accumulation. The sense of inevitability. It echoes the tempo of our systems: always faster, always more, always forward — until collapse.

But maybe that’s also the point. What I see in a work of art often says more about what I carry within myself — my fears, my longings, my questions — than about the work itself. The work is always, at least partially, a mirror.

And here’s where I’m still reflecting: what happens afterward, when a mirror that clear is held up to us?

Does it wake us up? Does it free us? Or does it lock us even deeper into our stuckness?
If we only sit with the first reaction—feeling seen, validated, shaken—but there’s no follow-up, no questioning… does it actually change anything? Could it even end up reinforcing the very thing we’re already living, without offering any way out?

A friend of mine who have seen and made lots of dances in his life admitted to me that there was something fascist about this piece. It’s a strong word. I don’t think he meant the intention, or the team behind it. I think he meant the feeling. That sensation of being trapped inside something unrelenting. And going along with it anyway. Maybe even liking it.
Can a performance seduce us to the point of neutralizing our critical thinking?

I don’t know.


But I really think it's (also) about capitalism. Because if it were about ecstasy, communion, or trance — like those embodied ceremonies that lift us into altered states — it wouldn’t be so perfect. It couldn’t be so clean. The precision would collapse. What moves me to associate this piece with capitalism is the repetition. The almost militaristic rigor. The mechanical accumulation. The sense of inevitability. It echoes the tempo of our systems: always faster, always more, always forward — until collapse.

But maybe that’s also the point. What I see in a work of art often says more about what I carry within myself — my fears, my longings, my questions — than about the work itself. The work is always, at least partially, a mirror.

But in my own work, I keep coming back to this question: do I want to reflect the world? Or do I want to offer something else? Can I do both? Is it possible to create even the tiniest cracks toward something else? Toward a future we haven’t imagined yet?

I don’t have the answers. But I know I want to try.
Because even though I recognize myself in the exhaustion portrayed in Les Jolies Choses, I’m also thirsty for possibility. For derailments. For rituals of disobedience. For collective fiction. For imagination on fire.

Maybe mirrors are necessary.
As for me—I crave portals.




On the responsibility of the audience—or the artistic ecosystem:
I believe we are all capable of thinking critically, of deconstructing, of questioning what we see, hear, and feel. What I’m trying to express here is that introspection can’t be left to chance. When a work holds up a mirror to us, it’s inviting us into a process. If the only thing it offers in return is an immediate reaction—a validation of our experience without any invitation to dig deeper—are we truly questioning the system we’re caught in, or simply accepting it as it is? The danger lies in this lack of follow-through, in the risk of never moving beyond the surface of the emotions an artwork might stir. That’s where, even though I deeply believe in the audience’s capacity to engage, I worry that this engagement too often gets stuck at a first layer of interpretation, without any real chance to break out of the loop.

1 Capitalist Realism, Marck Fisher 2009

ç

Contact.


Adresse postale


5333 A
venue Casgrain #1107
Montréal (QC) H2T 1X3


Email


nicbellefleur@gmail.com




Facebook


Nicholas Bellefleur




Instagram


eautraitee_________




©NB2025