Journal


Danse, corps, société.


Entrées sporadiques de mes réflexions incomplètes sur mon processus en tant qu’artiste et humain, en dialogue au monde et aux pratiques et créations artistiques qui m’inspirent, me font vibrer, ou m’inquiètent face à l’évolution de la condition humaine et la place qu’elle accorde au vivant, au corps, au vivre ensemble, à l’amour, à l’art et à la pensée critique.
FRANÇAIS

La performance en tant que pratique. La pratique en tant que performance.
Rester vaste dans un monde qui se rétracte.

ENGLISH
Cracked Open : On Social Life and  the Gift of Friction

PROTO STUDIO

Rester vaste dans un monde qui se rétracte.

Staying Vast in a World That Is Shrinking



09.12.2025

PROTO STUDIO: Rester vaste dans un monde qui se rétracte.


Si on se connaît maintenant, si on croise plus souvent qu’avant, c’est parce que le proto studio existe. Avant même d’être un lieu, le proto a été une hypothèse : et si la sérénité n’était pas l’absence de friction, mais la possibilité de respirer au milieu du bruit ? Créer un espace autonome, fragile, bricolé, collectif — c’était déjà un acte politique. Un refus de contracter avec la logique dominante où chaque geste est une donnée monnayable, chaque clic un petit tribut vers le haut de la pyramide.


Quand je regarde le paysage culturel actuel, saturé de crises, de coupes, de surveillance, de moralisation algorithmique et d’injonctions performatives, j’ai parfois l’impression que l’air se raréfie. Que nos corps (qui sont nos outils de travail) doivent fonctionner dans un climat d’hypervisibilité et d’hypercontrôle. C’est une forme de censure diffuse et insidieuse. On confond le courage pour de la prise de risque car on ne nous interdit presque rien explicitement ; on nous rend simplement la marge trop étroite pour que le risque nous semble possible.
Le proto studio est né précisément contre cette contraction. Non pas comme un refuge, mais comme un dilatateur : un espace qui agrandit la capacité de penser, de rater, de brouiller, de recommencer. Là où les projets peuvent naître sans devoir immédiatement se justifier, se vendre ou se normaliser. Un endroit où l’on peut se permettre de ne pas savoir — ce qui, aujourd’hui, est devenu un luxe radical.

C’est dans cette zone de liberté concrète et quotidienne que COWORKER et MIRAGE CORPORATIF ont pu s’enraciner. Leur gravité, leur momentum, leurs questions, leurs glitchs, leur humour et leur vulnérabilité viennent de là : d’un espace qui m’a permis d’être trop, pas assez, excessif, hésitant, hasardeux, maladroit, visionnaire, fatigué, exalté. Bref, vivant.


Créer, aujourd’hui, exige une forme de persistance presque obstinée :
— persister à exister comme artiste dans un paysage colonisé ;
— persister à rendre nos corps indisciplinés dans un monde qui rêve d’efficacité ;
— persister à se rassembler quand tout pousse à la dispersion ;
— persister à chercher des formes nouvelles plutôt qu’à optimiser les formes existantes.

La sérénité, pour moi, n’est pas un état intérieur individuel. C’est un milieu.
Elle se fabrique collectivement.
Elle se cultive par l’espace, la disponibilité, la générosité.
Elle est rendue possible par des lieux comme le proto, qui refusent la rareté et choisissent l’abondance relationnelle.

Alors, comment continuer à créer quand tout se rétracte ?
En ré-ouvrant, encore et encore, des espaces où l’on peut prendre le risque d’être authentique — même si cette authenticité dérange, dépasse ou déborde.
En bâtissant, par nos mains, nos ressources et nos alliances, des environnements où nos imaginaires peuvent respirer sans permission.

En cultivant ensemble la possibilité du vaste.


PROTO STUDIO: Staying Vast in a World That Is Shrinking


If we know each other now, if we cross paths more often than before, it’s because proto studio exists. Before it was even a place, proto was a hypothesis: what if serenity wasn’t the absence of friction, but the capacity to breathe in the middle of noise? Creating an autonomous, fragile, makeshift, collective space was already a political act. A refusal to contract with the dominant logic where every gesture becomes monetizable data, every click a tiny tribute sent up the pyramid.


When I look at the current cultural landscape, saturated with crises, cuts, surveillance, algorithmic moralization, and performative injunctions, I sometimes feel the air thinning. Our bodies (our tools of labor) are expected to function in a climate of hyper-visibility and hyper-control. It’s a diffuse, insidious form of censorship. We confuse courage with risk-taking because almost nothing is explicitly forbidden; the margin is simply made too narrow for risk to feel possible.

Proto studio was born precisely against this contraction. Not as a refuge, but as a dilator: a space that expands our capacity to think, to fail, to blur, to begin again. A place where projects can emerge without needing to immediately justify themselves, sell themselves, or normalize themselves. A place where not knowing is allowed—something that has become a radical luxury today.

It is within this concrete, everyday zone of freedom that COWORKER and MIRAGE CORPORATIF were able to take root. Their weight, their momentum, their questions, their glitches, their humor, and their vulnerability come from there: from a space that allowed me to be too much, not enough, excessive, hesitant, reckless, awkward, visionary, tired, elated. In other words: alive.


Creating today requires a kind of almost obstinate persistence:
 — persisting in existing as an artist within a colonized landscape;
 — persisting in keeping our bodies unruly in a world obsessed with efficiency;
 — persisting in gathering when everything pushes us toward dispersion;
 — persisting in seeking new forms rather than optimizing existing ones.

Serenity, for me, is not an individual interior state. It is a milieu.
 It is built collectively.
 It is cultivated through space, availability, generosity.
 It becomes possible through places like proto, which refuse scarcity and choose relational abundance.

So how do we keep creating when everything is shrinking?
 By re-opening, again and again, spaces where we can risk being authentic—even when that authenticity disturbs, exceeds, or spills over.
 By building, with our own hands, resources, and alliances, environments where our imaginations can breathe without permission.

By cultivating, together, the possibility of the vast.